Banlieues, trente ans d’histoire et de révoltes
Dès le début, «banlieue» est un mot négatif, funeste, pour ainsi dire maudit. Il désigne le territoire de l’exclusion, de la relégation, de la marginalisation… Cet héritage sémantique si lourd, inscrit dans l’inconscient de la langue, le mot «banlieue» en porte, encore aujourd’hui, le poids infamant. Même si, entre-temps, l’endroit s’est beaucoup transformé. Et si ses frontières ont beaucoup bougé.
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Numéro coordonné par Dominique Vidal
Lire, dans Le Monde diplomatique d’octobre 2006, le compte rendu de ce numéro par Maurice T. Maschino.
Une révolte française.
Ignacio Ramonet
Mục Lục
I. Un an après
Il est 18 h 12, le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, lorsque Bouna Traoré (15 ans) et Zyed Benna (17 ans) meurent électrocutés dans un transformateur — Muhittin Altun (17 ans) survivra à ses brûlures. Tous trois revenaient d’un tournoi de football quand ils virent arriver une voiture de police. Pas question de se faire prendre : leurs parents les attendaient pour l’iftar, la rupture du jeûne du ramadan. C’est pourquoi ils coururent se cacher. Averties du danger, les autorités policières n’ont rien fait… D’où la colère, attisée, trois jours plus tard, par le tir d’une grenade à l’entrée de la mosquée Bilal.
Ainsi commence la plus grande révolte qu’aient connue les banlieues françaises : elle durera trois semaines, gagnera 200 villes, détruira 10 000 véhicules et nombre d’infrastructures pour une valeur de 250 millions d’euros. Et le « retour à la normale » nécessitera l’instauration de l’état d’urgence, le déploiement de 11 000 policiers et l’interpellation de 5 000 personnes, dont 600 seront bientôt condamnées à des peines de prison…
Pourquoi cette explosion ? Aucune explication monocausale ne suffirait à répondre. L’émeute défie à la fois l’austérité néolibérale, la ségrégation par l’urbanisme, les discriminations à l’encontre des enfants de la colonisation, le mépris pour la jeunesse et les violences policières, le désert politique de quartiers délaissés par la gauche, etc.
Rien là de défaillances conjoncturelles : cette faillite, en premier lieu en matière de politique de la ville et d’immigration, tous les gouvernements depuis trente ans — de droite, donc, mais aussi de gauche — en partagent la responsabilité.
Les raisons d’une colère.
Laurent Bonelli
Casser l’apartheid à la française.
Dominique Vidal
Comment la droite américaine exploitait les émeutes.
Serge Halimi
Un « new deal » pour l’école.
Georges Felouzis et Joëlle Perroton
Quartiers populaires et désert politique. (inédit)
Abdellali Hajjat
II. Ségrégation urbaine
La chronologie qui court tout au long de ces pages tient de l’inventaire à la Prévert : voici, trente ans durant, une valse de ministres chargés de la ville, une floraison de comités, de commissions et de groupes en tout genre destinés à repenser l’urbanisme, une litanie de plans, programmes et autres opérations pour les banlieues… Avec quel résultat ? Celui qu’on a pu mesurer en octobre-novembre 2005 !
Encore faut-il prendre conscience du caractère multidimensionnel de l’échec de la « politique de la ville ». Il soulève la question — quasiment philosophique — du phénomène d’urbanisation lui-même. Il incrimine les architectes. Il résulte aussi, plus prosaïquement, du sacrifice du logement populaire. Il questionne le tissu social et les conséquences qu’ont sur lui précarité et austérité, ségrégation et… désinformation. Il invite à déceler, derrière les problèmes économiques et sociaux, ce qui tient à l’héritage de l’histoire et qui pèse en particulier sur les rapports entre populations issues de l’immigration et françaises « de souche ». Il met, du coup, en évidence le risque de replis communautaires. Il interpelle enfin les partis de gauche et leur incapacité à animer un mouvement dans les cités…
De Trappes à Dreux et de Sarcelles à Gennevilliers, en passant par Amiens, l’enquête sur le terrain confronte ici la réflexion générale à son objet local…
La gauche et les cités, un rendez-vous manqué.
Olivier Masclet
Le logement social entre pénurie et ségrégation.
François Ruffin
L’architecte, l’urbaniste et le citoyen.
Thierry Paquot
Trappes, la ville qui tient.
Nicolas Truong
Replis communautaires à Sarcelles.
Akram B.Ellyas
Ce que Dreux nous a appris.
Paul Moreira
Métamorphoses planétaires.
Henri Lefebvre
III. Enfants de l’immigration
« Coloniale » : ceux qui qualifient ainsi la société française contemporaine oublient les changements intervenus dans la situation, la place et l’image des immigrés et de leur descendance. Les grands bidonvilles ont disparu. Maghrébins et Africains ne rasent plus les murs. Beurs et blacks accèdent en masse à des métiers dont leurs parents étaient exclus. La fréquence des assassinats racistes — commis par des policiers ou des « tontons flingueurs » — a diminué…
La République, pour autant, ne traite pas encore également tous ses enfants. La majorité de ceux de l’immigration subissent toujours la ghettoïsation, les discriminations dans l’accès à la formation, à l’emploi, à la santé et à la culture, ainsi que l’humiliation du racisme et d’une répression ciblée. Autant de signes d’une société « postcoloniale », au sens où les méfaits de l’impérialisme français ont marqué les pays et leurs mentalités de part et d’autre de la Méditerranée.
On y verrait un échec du « modèle français d’intégration »… si celui-ci existait vraiment, ce que bien des historiens et des sociologues contestent. Sont indéniables, en revanche, les obstacles — économiques, politiques, juridiques, idéologiques et psychologiques — qui freinent l’évolution vers l’égalité des droits et des chances.
« L’immigré… mais qui a réussi ».
Mathieu Rigouste
Les femmes des quartiers sortent de l’ombre.
Marina Da Silva
Il n’y a pas de « modèle »
Gérard Noiriel
Enseigner dans des banlieues perdues.
Maurice Lemoine
Logique du « tri », politique des quotas.
Alain Morice
Dans l’étau policier.
Christian de Brie
Ces « étrangers » si coupables, si vulnérables.
Alain Gresh
Insécurité et racisme de crise.
Albert Lévy
Xénophobie ouvrière à la fin du XIXe siècle.
Michelle Perrot
Retour sur une flambée de violence.
Denis Duclos
Villes de papier
Berlin, avant l’expulsion, 2001.
Inka Parei
Le Caire l’européenne, 1955.
Albert Cossery
São Paulo et Rio, la belle et la bête, 1979.
Gilles Lapouge
A Lwów, hier, dans le ghetto, 1930.
Albert Londres
Soweto, l’étrange étrangère, 1979.
André Brink
Rome périphérique, 1955.
Pier Paolo Pasolini
Iconographie
Les photographies qui illustrent ce numéro sont toutes d’Eric Larrayadieu. Photographe indépendant, il se consacre depuis près de vingt ans à la vie des banlieues et de leurs habitants. En 1997, il a publié « Jours incertains », au Point du jour Editeur.
En couverture : La Courneuve, 1998.
Les affiches ont été réalisées dans le cadre du concours annuel « Etudiants, tous à Chaumont ! » organisé par le Festival international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont-en-Champagne.
Elles sont l’œuvre d’élèves d’écoles d’art françaises et étrangères qui ont travaillé cette année sur le thème de la révolte des banlieues.
Christelle Tabius
Documentation
Olivier Pironet, avec Mogniss Abdallah et Vincent Gayon
Chronologie 1973-2006
Bibliographie
Sur la Toile