Agnès Mariller

“Grand, le talent de la douleur : dans des situations malheureuses, on invente. Elle ruse, elle équipe un métier barbare d’une toile et tisse à fils blancs ses souvenirs rouges. Révélations du crime.”

Broderie sur tissu et papier, dessins aux crayons de couleurs, au stylo Bic rouge, travail à la machine à coudre, texte tapuscrit.

7 feuillets reliés/cousus en un livret de 21×95 cm présenté dans un coffret.

Je reprends là, cette Métamorphose (VI,412-674) autour d’un livre objet mêlant dessins et broderies sur un carnet de 21×95 cm. En 2009, j’avais déjà travaillé cette histoire de Philomèle et Procné dans une installation (https://www.agnesmariller.com/article-36209781.html)

La Métamorphose décrite par Ovide autour de Philomèle et Procné raconte l’histoire d’un viol, d’une mutilation, d’un enfermement mais c’est aussi l’histoire d’une reconquête de la parole ou tout au moins du récit. Une femme sort de son statut de victime, s’émancipe du mutisme infligé par son inventivité : ne pouvant parler, elle tisse ; le langage devient image et témoigne.

Parce que là, déjà, tout est dit, que ce soit dans les mythes, les tragédies, les légendes ; ces textes nous racontent, nous avertissent de la violence, de toutes les violences entre humains et plus particulièrement de celles exercées par les hommes envers les femmes.

Travailler le mythe de Procné et Philomèle (Ovide, Les Métamorphoses Livre VI) en parallèle, en rappel des mouvements actuels et éternels de #MeToo

Le récit

Deux soeurs, deux princesses athéniennes : Philomèle et Procné.

Procné est mariée à un roi Thrace, Térée qui l’emmène au loin, dans son pays. Mais elle se languit de Philomèle et demande à son mari d’aller chercher celle-ci. Ce qu’il fait.

Sur le chemin de retour 

« J’ai gagné! s’exclame Térée ; avec moi l’objet de mon désir. » Il bondit, à peine peut-il retarder sa jouissance, le barbare, jamais son oeil ne se détourne […] 

 Térée viole sa belle soeur, Philomèle 

; il l’enferme. Il avoue sa barbarie. Une vierge, une femme seule, il la viole. 

« Je n’aurai plus honte, je dirai tes actes. Si je peux je viendrai devant le peuple. Enferme-moi dans les forêts  et je remplirai les forêts, je toucherai les rochers, ils sauront. L’air m’entendra, le dieu aussi-s’il y en a, dans l’air. »

 Révoltée, elle crie le nom de son père, lutte pour parler : à la pince il lui saisit la langue, la tranche de son épée sauvage. Une petite racine de langue sautille. Elle s’écroule et tremblante murmure contre la terre noire. Comme une queue de couleuvre mutilée saute encore, palpite, en mourant cherchant les traces de sa maîtresse. 

À leur arrivée, lui ayant coupé la langue afin qu’elle ne puisse témoigner et l’enferme dans une bergerie.

Privée de parole, Philomèle tissera son histoire pour la faire connaître 

Grand, le talent de la douleur : dans des situations malheureuses, on invente. Elle ruse, elle équipe un métier barbare d’une toile et tisse à fils blancs ses souvenirs rouges. Révélations du crime. 

 

Je n’aurai plus honte, je dirai tes actes.

Traduction de Marie Cosnay